Et un moteur démarre : l'homme est parti, bientôt réduit à rien au-dessus 
          de l'horizon.
          A partir d'un certain point, on commence à comprendre qu'un pilote ne 
          vole pas pour aller quelque part, bien qu'il arrive en fait à plus d'un 
          endroit.
          Il ne vole pas pour économiser du temps, bien qu'il en économise chaque 
          fois qu'il passe de son automobile dans son avion.
          Il ne vole pas pour l'éducation de ses enfants bien qu'en classe de 
          géographie et d'histoire, les meilleurs élèves soient ceux qui ont vu 
          le monde de leurs propres yeux, depuis un avion privé.
          Il ne vole pas par économie, bien qu'un petit avion d'occasion coûte 
          moins cher à l'achat et à l'entretien qu'une grosse voiture neuve.
          Il ne vole pas pour le profit, pour ses affaires, bien qu'il ait pris 
          l'avion pour conduire M. Robert Ellison lui-même au restaurant puis 
          au golf et retour à temps pour le conseil d'administration -ce qui a 
          fait vendre le marché Ellison.
          Toutes ces choses, si souvent présentées comme des raisons de voler, 
          ne sont pas du tout des raisons. Elles sont agréables à entendre, bien 
          entendu, mais ce ne sont que les sous-produits de la seule et unique 
          vraie raison. A savoir : découvrir la vie en soi et la vivre au présent.
          Si les sous-produits étaient les seuls objectifs de l'aviation, la plupart 
          des avions d'aujourd'hui n'auraient jamais été construits, car il existe 
          une multitude de cactus sur le sentier du pilote d'avions légers. Ces 
          cactus ne sont acceptables que si voler apporte une compensation plus 
          grande qu'une minute économisée.
          Un avion léger n'est pas un moyen de transport aussi fidèle qu'une automobile. 
          Par mauvais temps, il n'est pas rare de se trouver bloqué au sol des 
          heures, parfois des jours. Si le propriétaire d'un avion le laisse entravé 
          dans l'herbe du terrain, il s'inquiète à chaque coup de vent, il sonde 
          chaque nuage de peur qu'il n'apporte de la grêle, exactement comme si 
          son avion était un être cher, abandonné en pleine nature. S'il remise 
          son appareil dans un hangar collectif, il a peur des incendies et du 
          personnel négligent, capable de heurter son avion avec un autre.
          C'est seulement quand l'avion est cadenassé dans un hangar privé que 
          le propriétaire a l'esprit en repos. Et les hangars privés, surtout 
          près des grandes villes, coûtent plus cher que l'avion lui-même.
          L'aviation est l'un des rares sports populaires dans lequel la pénalité 
          pour une faute grave est la mort. Au début cela paraît horrible; le 
          public est horrifié et choqué quand un pilote se tue par suite d'une 
          erreur impardonnable. Mais telles sont les conditions que pose l'avion 
          au pilote : aime-moi, connais-moi et tu recevras la grâce d'une grande 
          joie; ne m'aime pas, ne me connais pas, et tu trouveras de gros ennuis.
          Les faits sont très simples. L'homme qui vole est responsable de son 
          destin. Il n'existe pour ainsi dire aucun accident que l'intervention 
          du pilote n'aurait pas pu éviter. En vol, il n'y a pas l'équivalent 
          de l'enfant qui déboule soudain entre deux voitures garées. La sécurité 
          du pilote repose entre ses propres mains.
          Par exemple, il n'est guère efficace d'expliquer à un orage : « Sincèrement, 
          nuages et pluie, j'ai seulement besoin d'une trentaine de kilomètres; 
          ensuite, je promets d'atterrir. » La seule chose qui permet à un homme 
          d'éviter un orage est sa décision de ne pas y entrer : il faut que ses 
          propres mains fassent faire demi-tour à l'avion vers l'air calme; c'est 
          sa compétence même qui le ramène à un atterrissage sûr.
          Personne au sol n'est en mesure de voler à sa place, malgré le désir 
          qu'on peut avoir de l'aider. Voler demeure du ressort de l'individu 
          : chacun décide d'accepter la responsabilité de ses actes, sinon il 
          reste au sol. Refusez la responsabilité en vol, vous n'aurez plus très 
          longtemps à vivre.
          On parle beaucoup de la vie et de la mort, entre pilotes.
          - Je ne ferai pas de vieux os, dit l'un. Je mourrai dans un avion.
          Aussi simple que ça. La vie, sans voler, ne mérite pas d'être vécue. 
          Ne soyez pas surpris du nombre de pilotes qui ont foi en ce petit credo; 
          d'ici à un an, vous serez peut-être l'un d'eux.
          Ce qui déterminera votre décision de voler ne sera donc pas les impératifs 
          de vos affaires, ni votre désir de pratiquer un nouveau sport passionnant. 
          Ce sera ce que vous souhaitez obtenir de la vie; si vous souhaitez un 
          monde où votre destin repose totalement entre vos mains, il y a des 
          chances que vous soyez un pilote de naissance.
          N'oubliez pas que « Pourquoi voler? » n'a rien à voir avec les avions. 
          Rien à voir avec les sous-produits, les « raisons » si souvent avancées 
          dans les brochures à l'attention d'acheteurs potentiels. Si vous découvrez 
          en vous une personne qui aime voler, vous trouverez un endroit où aller 
          chaque fois que vous vous lasserez d'un monde de dîners devant la télé 
          et d'ombres découpées dans du carton-pâte. Vous trouverez des êtres 
          vivants, des aventures vivantes, et vous apprendrez à voir un sens derrière 
          tout ça.
          Plus je traîne dans les aérodromes, d'un bout à l'autre du pays, plus 
          je m'aperçois que la raison de voler, pour la plupart des pilotes, est 
          ce qu'ils appellent la vie.
          Offrez-vous ce test très simple, je vous prie. Répondez à ces simples 
          questions :
          • Vers combien d'endroits pouvez-vous vous tourner en ce moment 
          quand vous en avez assez des bavardages futiles?
          • Combien d'événements mémorables, authentiques, se sont produits 
          dans votre vie au cours des dix dernières années?
          • Pour combien de gens avez-vous été un ami véritable et sincère 
          - et combien de gens l'ont-ils été pour vous?
          Si votre réponse à ces trois questions est « Beaucoup », inutile de 
          vous donner la peine d'apprendre à voler.
          Mais si votre réponse est « Pas beaucoup », vous feriez bien de vous 
          arrêter un jour près d'un petit aéroport pour vous balader un peu et 
          découvrir ce qu'on ressent assis dans le cockpit d'un avion léger.
        Richard Bach
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